Viols d’enfants en ligne, la myopie française
Ces dernières années ont vu le développement d’une pédocriminalité à distance, commise à l’autre bout du monde et diffusée en direct par Internet. Face à cette barbarie, la France apparaît insuffisamment armée et les plates-formes doivent être responsabilisées.
Les faits sont insoutenables, le contexte sordide, la progression du phénomène alarmante, la mobilisation en France insuffisante. Des vidéos d’enfants violés par leurs propres parents sont vendues en ligne par ces derniers. Souvent à l’autre bout du monde, par le biais d’Internet, des hommes achètent et visionnent, parfois en direct, ces séquences qu’ils ont commandées, se rendant, à distance, complices d’un crime. L’enquête en trois volets publiée par Le Monde témoigne de l’ampleur du phénomène, des ravages qu’il cause parmi les enfants victimes et de la difficulté de réprimer cette pédocriminalité pullulante.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est répandu à la faveur de la banalisation de l’Internet et des smartphones partout dans le monde. Depuis une dizaine d’années, le « live streaming », qui consiste à diffuser par l’intermédiaire d’une webcam, à des fins commerciales, des scènes de violences sexuelles commises par des adultes sur des enfants, prospère dans les pays d’Asie du Sud-Est, notamment aux Philippines, mais aussi en Afrique, en Europe de l’Est et en Amérique du Nord.
Des victimes de plus en plus jeunes
L’épidémie de Covid-19, en exacerbant les violences intrafamiliales et en entravant les voyages pédocriminels, a démultiplié le phénomène. D’autant que le perfectionnement des technologies a facilité cette forme d’exploitation sans recours à des gangs organisés. Les mises en relation ne s’effectuent pas nécessairement sur des sites spécialisés ou des messageries chiffrées, mais sur Skype et Facebook messenger, y compris à partir de « demandes d’amis ». Les paiements se font sur Paypal et Western Union.
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https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/11/viols-d-enfants-en-ligne-la-myopie-francaise_6165071_3232.html
En France, les signalements ont augmenté de 30 % en trois ans, et l’organisation américaine d’alerte National Center for Missing & Exploited Children en recense 85 000 concernant des résidents français. L’âge des enfants victimes ne cesse de baisser, jusqu’à atteindre, en septembre 2022, la moyenne effarante de huit mois. A Nanterre, l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) compte 300 dossiers en attente pour les seules affaires franco-philippines. Les commanditaires de ces nouvelles formes de prédation sexuelle appartiennent à toutes les classes sociales, avec un fort risque de récidive, d’addiction et de passage à des violences commanditées en ligne de plus en plus graves, voire de passage à l’acte dans leur entourage familial.
Face à cette barbarie en ligne, la France apparaît insuffisamment armée. L’OCRVP ne dispose que de 18 policiers et, à terme, d’une cinquantaine, contre 150 aux Pays-Bas et 351 au Royaume-Uni. Des progrès notables ont été réalisés en matière d’enquête et d’incrimination, mais les fonctionnaires spécialisés et formés – policiers et magistrats – manquent. Le pays, le quatrième du monde pour l’hébergement des contenus pédocriminels, doit passer à l’action, aussi bien en matière de mise en garde du public que de répression.
Quant aux plates-formes de l’Internet, il est temps qu’elles sortent de leur irresponsabilité face à la prolifération des nouvelles formes de prédation sexuelle. Le projet de règlement de l’Union européenne visant à créer des bases de données de contenus illicites et à imposer une obligation de détection des contenus pédocriminels par les plates-formes, y compris en matière de streaming, est bienvenu. Meta, propriétaire de Facebook, et Microsoft, qui possède Skype, ne doivent plus pouvoir se retrancher derrière la protection des données privées pour s’exonérer de leurs responsabilités face à ce fléau, l’une des plus ignobles formes dites « modernes » de traite d’êtres humains.